La chorée de Huntington est une maladie autosomique dominante caractérisée par des dysfonctionnements moteurs incontrôlables, accompagnés par une atteinte des fonctions cognitives et de l’humeur des patients. L’issue en est fatale entre 15 et 20 ans après l’apparition des premiers signes cliniques [ 1]. En France, 6 000 personnes sont affectées. La maladie est causée par une expansion de triplets CAG, codant pour une glutamine, dans le gène IT15 qui code pour la huntingtine. Chez les sujets non affectés, les répétitions s’échelonnent entre 6 et 35 triplets. Au-delà de 36, plus le nombre de répétitions est élevé plus la maladie se déclare tôt.
La huntingtine est une protéine polymorphe en polyglutamine avec une région riche en proline dans sa partie aminoterminale, sans homologie de séquence notable avec d’autres protéines. Sa fonction reste mal définie, mais elle interagit avec de nombreux partenaires. Elle a été impliquée dans la régulation de la transcription, le trafic et le transport axonal et semble nécessaire pour la neurogenèse et la survie neuronale chez les mammifères. La région comportant les expansions de polyglutamines (polyQ) semble induire des changements de conformation, rendant la protéine sensible à un clivage protéolytique et à la formation de fragments aminoterminaux. Ces produits de clivage ont une propension à former des inclusions intracellulaires, souvent nucléaires, bien que des agrégats situés dans d’autres portions de la cellule ne soient pas rares. Le rôle de ces agrégats est controversé [ 2]. Certains suggèrent qu’ils sont responsables de la toxicité [ 3, 4], alors que d’autres pensent qu’ils jouent un rôle protecteur pour enrayer la progression de la maladie [ 5, 6].
Un des grands mystères concernant la pathogénie de la chorée de Huntington est que - bien que l’expression de la huntingtine soit pratiquement ubiquitaire - la perte neuronale chez les individus affectés est restreinte aux ganglions de la base, en particulier le striatum et certaines régions corticales. Il est probable que la pathogénie de la chorée de Huntington soit liée à une perte de fonction de la huntingtine normale et à une augmentation de la toxicité liée aux extensions en polyglutamines, qui pourraient diminuer la fonction de certaines protéines. Ainsi, la huntingtine mutée interfère avec la transcription, soit en formant les inclusions nucléaires décrites ci-dessus, soit en séquestrant des facteurs de transcription comme p53, CBP (CREB-binding protein), SP1 (specificity protein 1) et le coactivateur transcriptionel CA150 [ 7– 10].
La découverte importante selon laquelle des mutations géniques uniques peuvent dramatiquement augmenter la durée de vie de plusieurs organismes modèles a montré que le vieillissement était un phénomène plastique avec une composante génétique marquée [ 11]. On peut citer parmi ces gènes le facteur de transcription du groupe Forkhead, FOXO, et la NAD-dependent histone deacetylase Sir2 [ 12, 13]. La phosphorylation et la downregulation de FOXO jouent un rôle important dans la voie de transduction de l’insuline/IGF-1 (insulin-like growth factor-1). Quand la transduction de l’insuline est inhibée, FOXO déphosphorylé peut entrer dans le noyau où il active de nombreux gènes pour induire, dans certaines circonstances, la mort cellulaire ainsi qu’une résistance au stress, l’allongement de la durée de vie et la suppression de tumeurs [ 14]. FOXO peut être phosphorylé par JNK [ 15] et désacétylaté par Sir2. Or, SIR2 augmente la longévité en déplaçant les réponses dépendantes de FOXO de la mort vers la survie cellulaire [ 16, 17]. Ainsi, une activité accrue de SIRT1, codant pour la sirtuine, l’homologue chez les mammifères de Sir2, est neuroprotectrice [ 18].
Récemment, il a été montré que plusieurs polyphénols augmentaient l’affinité de Sir2 pour certains de ses substrats protéiques [ 19], vraisemblablement par un mécanisme allostérique [ 20]. Parmi ces composés, le resvératrol est un produit naturel dérivé du raisin (et présent dans le vin rouge). En combinant une approche génétique et pharmacologique, nous avons utilisé deux modèles de chorée de Huntington [ 21]. Le premier est fondé sur la surexpression ciblée de la huntingtine mutée aminoterminale dans les neurones sensibles au toucher du nématode Caenorhabditis elegans. Ce modèle exprime un dysfonctionnement neuronal puisque le ver répond beaucoup moins bien au toucher [ 22]. Le deuxième modèle est un peu plus proche de la maladie puisqu’il s’agit de neurones dérivés de striatum de souris avec des expansions CAG knocked-in dans le gène IT15 de souris [ 23]. Ces neurones exprimant la huntingtine mutée présentent un taux plus élevé de mort cellulaire. Dans les deux modèles, le resvératrol supprime les effets toxiques de la huntingtine mutée ; les neurones de nématodes continuent à répondre au toucher et la mort neuronale est diminuée dans le modèle souris. En revanche, l’activité du resvératrol est perdue chez des vers déficients pour Sir2 ou FOXO, et son effet protecteur est bloqué par des inhibiteurs de Sir2 sur les neurones de souris. Ces résultats suggèrent que la désacétylation de FOXO est liée à une survie maximale. FOXO induit l’expression de nombreux gènes, en particulier des protéines de choc thermique, ou impliquées dans la réparation de l’ADN, le contrôle de la croissance et de la mort cellulaire (Figure 1). La neuroprotection induite par SIRT1 n’implique sans doute pas toutes les cibles transcriptionnelles de FOXO. La prochaine étape sera de déterminer quels gènes sont requis pour la neuroprotection, ce qui devrait donner naissance à un nouveau groupe de cibles thérapeutiques potentielles. La biodisponibilité du resvératrol n’étant pas bonne, d’autres analogues et activateurs de la sirtuine doivent être testés sur des modèles murins de chorée de Huntington. En outre, un effet dans d’autres maladies neurodégénératives associées à une agrégation protéique n’est pas à négliger.
Enfin, une question importante concerne la nature des facteurs transcriptionnels conférant la résistance au stress et le maintien des fonctions neuronales : l’activation de sirtuine affecte-t-elle le trafic intracellulaire et/ou la transduction neuronale ? Des études complémentaires permettront de répondre à cette question [ 24]. Quoi qu’il en soit, il est intéressant que des recherches dans le domaine du vieillissement ouvrent une nouvelle voie thérapeutique potentielle pour le traitement des maladies neurodégénératives.